Projet pour la future Mosquée de Gentilly : quelle architecture au 21e siècle ?

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Une réunion s’est tenue au CMAC en mai dernier, devant un public à l’écoute, de nombreuses questions posées, mais bien évidemment pas toutes… C’est un projet à l’échelle de la ville, dans le quartier plutôt pavillonnaire du Plateau. Les éléments visuels concernant l’aspect architectural qui nous ont été présentés, l’ont été pour illustrer les possibles, du moins nous pouvons l’imaginer … Le projet présenté s’inscrit de façon assez classique dans un style d’imitation de l’art arabo mauresque.

Nous aurions souhaité voir des propositions plus novatrices, voir surgir un édifice dans un style plus contemporain, dans un parti pris plus ouvert. En l’état, ce projet pour Gentilly n’est pas représentatif d’une bonne insertion architecturale et loin de s’inscrire dans une modernité saine et assumée, il serait souhaitable qu’il évolue pour mieux s’intégrer dans l’environnement du quartier.

Une Mosquée : on entend par là un bâtiment exclusivement ou principalement destiné à l’exercice du culte musulman. La construction d’une mosquée, si elle répond à des exigences pratiques, est également l’expression d’un désir de visibilité, cette visibilité est souvent autant celle d’une culture que d’une religion.

La construction des mosquées en France est répartie très inégalement dans le temps. Les deux plus anciennes mosquées de France se trouvent dans les Territoires d’outre-mer : St Denis de La Réunion (construite en 1905, elle a été reconstruite après un incendie survenu en 1974) ; et St Pierre de la Réunion (construite en 1920).

En 1926, la première mosquée de France métropolitaine voit le jour : la Grande mosquée de Paris, de style hispano-mauresque. Elle a été construite pour rendre hommage aux musulmans morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale. Ainsi, entre 1926 et 2000, quatre mosquées sont construites sur le territoire, elles ont en commun de reprendre un style d’architecture arabe, il faut attendre les années 2000 pour voir une évolution notable dans l’approche esthétique des projets. 2002, à Rodez et à Villeparisis, deux mosquées très simples, les deux sans minaret.

Il y avait 90 mosquées dans le pays en 2015, plus de 410 projets de constructions seraient en cours actuellement. Certaines sont déjà en chantier, d’autres attendent encore les fonds nécessaires. Selon un rapport de l’Observatoire de la laïcité publié en 2019, sur les près de 2.600 lieux de culte musulmans qui existent en France, au moins les deux tiers sont des salles de prière.

Mosquées : Quels bâtiments, quel style, quelle architecture ?

Le niveau architectural quant à lui n’est malheureusement que rarement au rendez-vous. On assiste à un phénomène “pastiche” très prononcé au Maghreb, qui a tendance à se poursuivre en France.

Peut-on expliquer ce manque d’imagination dans les mosquées de France ? Joël Privot, architecte dont le cabinet se spécialise dans la construction de mosquées en Europe, y voit plusieurs explications. Il souligne le manque de connaissance de la culture architecturale européenne des membres des communautés : ils restent trop influencés par la culture d’origine, et leurs références sont extra-européennes. Il rappelle que les décisionnaires sont souvent les membres les plus âgés de la communauté, donc en France plus fréquemment des immigrés. Les projets innovants sont acceptés par les plus jeunes, pas par les anciens, et les projets de constructions sont fréquemment l’occasion de ruptures dans la communauté. Les projets plus modernes sont parfois portés par la majeure partie de la communauté, pour être finalement refusés par une minorité “au pouvoir”.

Ces remarques vont dans le sens des conclusions d’Éric Roose, dans un rapport sur l’architecture des mosquées aux Pays-Bas, qui dit que le bâtiment réalisé représente finalement l’expression de la partie établie, politiquement forte, de la communauté, et pas de ses tendances progressistes.

À quand des mosquées inscrites dans une modernité saine et assumée. C’est seulement dans quelques projets les plus récents que l’architecture des mosquées devient plus imaginative.

Le style s’affranchit de l’architecture orientale, évoluant vers l’évocation plus que l’utilisation.

Créteil propose ainsi une déclinaison souple de l’enceinte de la mosquée :

Drancy offre un bâtiment très sobre :

La-Seyne-sur-mer et Cannes avec une mosquée d’aspect nouveau :

Un projet assez futuriste pour la mosquée d’Ivry sur Seine :

Une évolution architecturale semble se faire jour, vers des bâtiments visant à refléter l’identité de la communauté locale qui les porte plus que celle de l’islam en général, fût-ce, comme à Lorient, avec le projet d’une mosquée totalement dénuée de signes extérieurs.

Le futur semble être à plus de créativité, et c’est ce que nous attendons dans notre ville de Gentilly.

Autre point non évoqué : Entretenir l’édifice …

Le coût de construction n’est pas le seul élément à prendre en compte, et un autre élément est à souligner : il est plus facile de récolter des fonds pour construire que pour entretenir. Les grands rassemblements religieux font venir beaucoup de monde, et il faut certes des lieux pour que ces rencontres se tiennent. Mais les édifices du culte sont souvent utilisés de façon ponctuelle, alors qu’ils sont à chauffer et entretenir à plein temps ; ils deviennent alors, comme l’a exprimé Dalil Boubakeur, des “gouffres financiers”. Les projets de construction de bâtiments cultuels, pour rester au service de la communauté qui les construit, ne doivent pas abandonner tout pragmatisme, ignorer la difficulté de la gestion du patrimoine.

A noter qu’Isabelle Saint-Martin, à partir d’une étude sur les constructions d’édifice religieux catholiques à Paris, en a montré l’évolution, exposant comment l’accent est passé de la visibilité au service de proximité, de la monumentalité à la lisibilité.

Sources :
Anne-Laure Zwilling CNRS /université de Strasbourg / paru dans la Revue des sciences religieuses
Dalil Boubakeur- Recteur de la Grande mosquée de Paris entre 1992 et 2020
Isabelle Saint-Martin -Directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études